• Sortie en salle le 10 décembre 2014

    Timbuktu - un film d'Abderrahmane Sissako (2014)Le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako profite de son statut de cinéaste pour réaliser un long métrage de fiction centré sur les événements tragiques de la prise de pouvoir dans certaines régions du Mali par des djihadistes. J'ai envie de ne raconter que ce que je suis "désignée" pour raconter. Je peux trouver bouleversante une histoire d'amour dans un appartement, mais je fais partie des cinéastes venant de pays qui n'ont pas les moyens financiers de propulser régulièrement des films à l'affiche. Ces pays qui peuvent rester jusqu'à dix ans sans faire de film ! Quand on en fait un, il doit avoir un sens, une portés universelle, il doit alerter, concerner toute l'humanité. La lapidation publique d'un couple par des djihadistes en 2012 pour ne pas avoir été marié devant dieu a été l'élément déclencheur de la réalisation du film. Abderrahmane Sissako s'est inspiré de faits réels pour faire une fiction.

    A Tombouctou, les djihadistes sèment la terreur en imposant la charia. Il est désormais interdit de fumer, de jouer au football, d'écouter de la musique, d'être dans la rue sans rien faire. En plus du voile, les femmes sont dans l'obligation de porter des gants, les hommes de porter des pantalons retroussés. De plus en plus de restrictions qui ne donnent plus aucune liberté aux femmes. Satima et Kidane, un couple de Touaregs, vivent dans les dunes avec leur fille Toya. Tous leurs voisins sont partis pour fuir les djihadistes. Ne sachant plus où aller et étant las des changements de lieux, Kidane préfère que sa famille reste. Furieux qu'une des vachesTimbuktu - un film d'Abderrahmane Sissako (2014) de Kidane se perd dans ses filets de pêche, un homme tue la pauvre vache. En lui demandant des explications, Kidane tue accidentellement l'homme. Le mari de Satima est rapidement arrêté par la police islamiste et le procès rapidement expédié (si on peut appeler un procès une mascarade basée sur la charia). Pendant ce là, une jeune fille est enlevée, séquestrée puis mariée/séquestrée/violée à un djihadiste malgré les protestations de la jeune femme et de sa mère, un couple est lapidé publiquement, des personnes arrêtées puis flagellées pour avoir jouer de la musique chez elles, une femme arrêtée pour avoir refusé de porter des gants. Un monde de terreur pour imposer une dictature dirigée par des extrémistes religieux qui ne s'imposent même pas les fameuses lois de dieu. On voit un djihadiste fumer en cachette, le même essayant de faire la cour à une femme mariée, trois djihadistes discutant de football. Une dictature centrée sur la religion, sans plaisir, sans culture, avec des femmes esclaves : la charia.

    Timbuktu - un film d'Abderrahmane Sissako (2014)

    Mais on voit aussi des personnes qui refusent d'être privées de leur liberté, notamment cette femme qui refuse de porter des gants, ces jeunes jouant au football sans ballon (c'est plutôt un symbole parce que concrètement comment jouer sans ballon ?), des musicien-en-es qui malgré l'interdiction jouent de la musique... mais la plupart payeront chèrement les "péchés", entre coup de fouets et lynchages. Tel est le prix à payer pour des insoumis-e-s qui n'acceptent pas les lois de ces djihadistes endoctrinés. Finalement le plus soumis est Kidane qui accepte son sort car dieu l'a voulu. Le plus étonnant est que malgré les interdictions, les privations, le manque de liberté, d'expression, la torture, les meurtres, ces djihadistes restent calmes et sereins. Abderrahmane Sissako s'en explique : Je montre (aussi) qu'ils peuvent être très courtois : ils rendent ses lunettes et ses médicaments à l'otage européen et lui offrent le thé. L'instant d'après, ils vont peut-être le décapiter mais je ne voulais pas les filmer en train de crier, de hurler. Je montre aussi qu'ils peuvent lapider, tuer un couple, flageller une jeune fille coupable d'avoir chanté. Mais dans tout groupe, et donc chez eux aussi, il y a forcément tous les types d'individus - le méchant, Timbuktu - un film d'Abderrahmane Sissako (2014)l'intellectuel, le rappeur... Je tiens beaucoup au personnage du rappeur, ce jeune auquel on a lavé le cerveau et qui pense que lorsqu'il faisait de la musique, il était dans le péché. On a appris depuis que l'égorgeur de l'otage américain James Foley était vraisemblablement un rappeur londonien. Ce qui les fédère, c'est le désespoir, ils sont démunis, ils ne savent plus quoi faire, alors ils sont à la merci de ce qui s'offre pour créer une solidarité. Les jeunes qui se sacrifient dans des attentats-suicides meurent pour donner leur vie à l'Islam et aider leur famille. Leur geste s'apparente à un sacrifice. Surtout, ces désespérés sont manipulés. Ils se sont laissés persuader que l'on racontera l'exemple de celui qui est mort bravement, et dont le geste compensera son incapacité à aider les siens.

    "Timbuktu" propose une superbe photographie, des images magnifiques notamment la scène dans laquelle Kidane s'enfuit tandis que le pêcheur agonise. Une belle peinture peinte avec des couleurs qui font frisonner et vous laisse sans voix, à moins que la peinture se transforme en poésie ou que peinture et poésie fusionnent.

    Abderrahmane Sissako a eu raison de réaliser un film sur un tel sujet car si lui ne l'avait pas fait, qui l'aurait fait ? ... d'autant plus que "Timbuktu" est très réussi, tant émotionnellement qu'artistiquement.  

    Avec Ibrahim Ahmed, Toulou Kiki, Abel Jafri, Fatou Diawara, Layla Walet Mohamed, Hichem Yacoubi, Kettly Noël, Mehdi AG Mohamed...

    Timbuktu - un film d'Abderrahmane Sissako (2014)

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  • Sortie en salle le 3 décembre 2014

    White god - un film de Kornél Mundruczó (2014)"White god" a été projeté au festival de l'étrange à Paris en septembre dernier. La bande annonce et les quelques articles lus m'avait donné envie de le voir lorsqu'il sortirait en salle trois mois plus tard.  Il a reçu un prix au festival de Cannes mais bon, je dois bien avouer que je me contrefiche de ce genre de festival et que ce n'est pas le prix reçu qui m'a motivé pour aller le voir au cinéma.

    Sa mère partant trois mois en Australie, Lili - et son chien Hagen - , une adolescente de 13 ans habitant à Budapest, capitale de la Hongrie, part vivre chez son père. La cohabitation est difficile parce que son père ne veut pas de chien chez lui et que visiblement père et fille se connaissent peu. Le père apprend par une voisine que les maîtres de chiens "bâtards" doivent payer un impôt.  Son père n'aimant ni les chiens, ni ne voulant payer une taxe supplémentaire abandonne Hagen à son triste sort sur la route. Lili fait tout pour le retrouver, notamment en collant des affiches sur les murs de la ville et en parcourant Budapest à vélo mais en vain. La jeune fille joue de la trompette dans un orchestre, une bonne partie de son univers se trouve en répétition ou lors de concerts. Son professeur est dur est autoritaire. Malgré tout, elle se plait dans le monde de la musique grâce à son amour pour elle et pour les amitiés qu'elle entretient avec quelques camarades de l'orchestre.

    White god - un film de Kornél Mundruczó (2014)

    Hagen vit désormais une dure vie de chiens de rue. Il sera d'abord dans la rue, puis utilisé comme chien de combat puis se retrouvera dans un refuge pour animaux et brutalisé par un membre du refuge. Ne voulant plus de cette vie, Hagen se venge sur toutes les personnes qui l'ont brutalisé et humilié. Sur sa route, tous les chiens du refuge mis sur le banc de touche le suivront dans sa quête de vengeance et d'émancipation. 

    Le réalisateur Kornél Mundruczó considère "White god comme un conte de fées ou comme un film de Walt Disney, une utopie insolente qui essaie de ressembler a la réalité actuelle, même si j'espère qu'on n'en arrivera pas là". Il ajoute que "L'idée de départ m'est venue le jour où j'ai visité une fourrière. J'y ai rencontré des gens magnifiques qui essaient d'aider au mieux les animaux, alors que quand on tient un tel endroit en Hongrie, on ne sait plus quoi faire de toutes ces bêtes" (Mad Movies #280 - décembre 2014). "Le film est la critique d’une Hongrie White god - un film de Kornél Mundruczó (2014)dans laquelle une mince couche de la société dirige une grande partie de la population. C’est également de plus en plus le cas ailleurs en Europe. Un petit groupe issu de l’élite se réserve le droit de régner pendant que les politiciens, comme dans un programme de téléréalité politique, passent pour des vedettes à qui nous accordons nos votes à tour de rôle. Ces tendances sont très dangereuses. Si nous n’y prenons pas garde, un jour les masses se soulèveront." (dossier de presse)

    Dans ce film, Kornél Mundruczó traite des laissés pour contre, de ces chiens qui ont eu la mal chance (je parle du point de vue de certain-e-s humain-e-s, bien entendu) de ne pas être de "pures races" et dont on préfère se débarrasser ou de faire payer un impôt afin d'inciter les gens à avoir des chiens bien comme il faut. Ce sont des chiens mais cela pourrait être aussi bien des immigré-e-s, des SDF ou des "anormaux", un phénomène de rejet par une société qui préfère trouver des boucs émissères plutôt que de trouver le vrai problème des maux.

    Le père de Lili travaille dans un abattoir. Au début du film, on voit une scène de découpage de chair animale. Quelques instant plus tard son père essaie d'enlever des gouttes de sang incrustées sur sa chemise, comme pour se dédouaner, se déculpabiliser de son travail qui consiste à tuer des animaux (son job consiste plutôt à dire si la viande est bonne pour la consommation humaine mais travailler dans un abattoir n'a rien de très "peace"). 

    Le film traite des conditions de vie difficile des chiens dans les White god - un film de Kornél Mundruczó (2014)refuges, des euthanasies lorsque ces derniers ont peu de chance d'être adoptés, des violents combats de chiens, terrible fléau qui n'est pas prêt d'être éradiqué vu l'argent qu'ils rapportent.

    Beaucoup d'émotions circulent durant le film et c'est ce qui fait le charme de "White god" qui va du drame au thriller, avec une touche de fantastique, en passant par la dernière demi-heure un peu horrifique. On joue sur les émotions grâce à la musique incroyablement belle, la relation entre Lili et Hagen, Lili et son père. Derrière l'acharnement de vengeance de Hagen et sa bande (le soulèvement des masses comme le disait  Kornél Mundruczó) se cache la volonté de faire prendre position les spectateurs et spectatrices car cette vengeance même si elle reste malsaine est une vengeance créée par des chiens qui ont souffert le martyre et qui veulent se libérer de leur oppression. Comment pourrions-nous soutenir les oppresseurs ? Comment pourrions-nous soutenir que des chiens mais au-delà de ces barrières d'espèce, que des animaux, humains compris, puissent être maltraités, exploités, tués parce qu'ils seraient considérés comme différents ou inférieurs ?

    Un film tout en beauté qui a la particularité de faire jouer de nombreux chiens qui jouent superbement bien ! Inutile de préciser qu'aucun chien n'a été maltraité durant le tournage. Zsófia Psotta (Lili) est une jeune actrice attachante pleine de talent qu'on reverra, je l'espère, dans d'autres films.

    Avec  Zsófia Psotta, Sándor Zsótér, László Gállfy, Lili Horváth...

    White god - un film de Kornél Mundruczó (2014)

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